Qui a inventé le ciré jaune ? - LeTelegramme Le T +

2022-09-30 19:40:39 By : Mr. Allen Wu

Dans un reportage diffusé en 1988 sur FR3, qui raconte une longue nuit de pêche à la sardine en baie de Douarnenez (29), les huit marins de l’équipage s’activent autour des filets dans la nuit noire. Tous sont équipés de cirés jaunes, bien visibles, malgré la faible lumière qui éclaire le pont. C’est aussi le cas des paysans-maraîchers, équipés de pantalons et vestes cirés, jaunes ou kaki, dans les champs de choux-fleurs de la zone légumière du nord-Finistère. Cet imperméable emblématique de la Bretagne n’a pas toujours été aussi courant.

Les pêcheurs ont d’abord eu des vêtements de drap ou de laine. Un dessin d’Hippolyte Lalaisse, daté de 1843, montre, par exemple, un pêcheur de Lorient, debout près de son panier à sardines : l’homme, coiffé d’un bonnet rouge, porte une vareuse et un long manteau à capuche. Certaines vestes étaient, par ailleurs, huilées afin de les rendre imperméables. Une pratique probablement inspirée de la charpente maritime : on utilisait, en effet, de la résine de pin ou du goudron pour étancher les coques des bateaux, ainsi que les coutures des voiles. Les pêcheurs étaient aussi parfois habillés de grandes capes de protection en toile blanche, taillées dans des voiles. Elles étaient imperméabilisés et avaient des capuches.

En Bretagne, les hommes sont nombreux à vivre de la pêche côtière. Une première mondialisation des pêches s’opère au XIXe siècle. Au sud de la région, l’activité est orientée vers la pêche saisonnière de la sardine. À partir de 1840, c’est aussi le début de la pêche au thon. Les bateaux suivent la remontée du thon blanc du Golfe de Gascogne au sud de l’Irlande. Depuis le XVIIe siècle, la Bretagne est également la principale province d’armement morutier. Ce sont d’abord les Malouins qui se lancent dans l’exploitation des bancs de morue de Terre-Neuve. Les Paimpolais leur emboîtent le pas et connaissent, comme les Terre-Neuvas malouins, des conditions de travail effroyables.

Leurs équipements sont sommaires. Un siècle plus tard, Guy Desjardins, qui embarque sur un chalutier de Saint-Malo, à la fin des années 1950, raconte : « C’est que le sac du marin contient toute une garde-robe : tricots de corps chauds, caleçons longs, chemises épaisses, gros chandail, vestes, pantalons, grosses chaussettes épaisses, chaussons, bottes cuissardes, vestes cirées, pantalons cirés, suroît, cagoules et mitaines en laine, gants de caoutchouc ; le tout au moins en double », écrit-il.

Mais au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les cirés en coton enduit sont encore lourds, peu confortables et peu solides. Il faut attendre les années 1960 pour que le ciré se transforme en profondeur. L’entrepreneur Guy Cotten en est l’inventeur. Né en 1936 à Saint-Yvi (29), dans une famille d’agriculteurs, il acquiert, au début des années 1960, un petit local à Concarneau (29) pour vendre des vêtements marins aux pêcheurs du port.

En 1964, Guy Cotten lance son propre atelier de confection de cirés, plus légers et résistants, utilisant le nylon plutôt que le traditionnel coton enduit. La veste Rosbras naît d’une idée entre copains : Yvon Hemery, le directeur du centre nautique Rosbras-Brigneau à Moëlan-sur-Mer (29), cherche alors à mieux équiper les jeunes marins en herbe. Il interpelle son ami Guy Cotten. Quelques jours plus tard, les stagiaires du centre de Brigneau testent les premières vestes cirées. La veste Rosbras Cotten est née. La fabrication de cet imperméable fait décoller la production. 600 000 modèles ont été vendus depuis sa création.

En 1974, le célèbre petit bonhomme jaune, dessiné par le graphiste Alain Le Quernec, ancien moniteur de l’école de voile de Brigneau, devient le logo emblématique de la marque. Le slogan qui lui est associé dans un premier temps est « On est si bien dedans quand il fait mauvais dehors ». Puis en 1982, « L’abri du marin » est adopté. Depuis, le ciré est décliné sous toutes ses formes, dans des couleurs et des coupes diverses. Et s’il reste, encore et toujours, le vêtement de travail que tous les marins-pêcheurs, du Guilvinec, de Lorient ou d’ailleurs, portent chaque jour sur le pont du bateau, il est désormais plébiscité bien au-delà du monde maritime.

En effet, à chaque période de vacances, une étrange population déambule sur les quais de la gare de Brest, les remparts de Vannes, dans la Ville Close de Concarneau (29) ou sur les plages de Perros-Guirec (22). Craignant le vent et le crachin bretons, les « touristes » sont reconnaissables à leurs cirés jaunes, bleus, roses ou blancs. Comble du chic : ce vêtement est souvent assorti à des bottes bleu marine. Une tenue qui ne lasse pas d’étonner les habitants de la Bretagne qui portent rarement ce type d’équipements, même quand les nuages s’amoncellent.

Les « touristes » vêtus du ciré font donc l’objet de plaisanteries de la part des autochtones. Il figure d’ailleurs, d’après les internautes (topito.com), dans le « top 10 des trucs pour reconnaître un touriste en Bretagne » ! Steven Le Roy, journaliste au Télégramme et auteur d’une célèbre chronique en parler brestois, n’est pas toujours tendre avec les « Parisiens », autre surnom donné aux estivants quelle que soit leur région d’origine. « Dès que tu vois une vareuse avec une marinière en dessous et des pompes à glands, c’est eux ! Donc tu t’énerves pas ! », conseille-t-il, goguenard.

Cher visiteur ou chère visiteuse, si vous souhaitez donc vous fondre dans la population locale, surtout si vous êtes au beau milieu des monts d’Arrée et non en pleine activité de pêche à pied, vous saurez désormais que pour passer pour un « vrai » Breton, le ciré n’est pas la tenue la plus appropriée !